6e volet de ma lecture du livre de Catherine Perret Le tacite. L’humain – Anthropologie politique de Fernand Deligny. La première page se trouve ici.
Le travail ethnologique fait sur les régularités des cartes d’erre conduit Fernand Deligny à conclure qu’en réalité les enfants n’errent pas vraiment. Ils vont, ils tournent, surtout ils retournent, là « où en général s’est produit un événement d’importance pour la communauté », qui n’est plus visible, a été effacé. Ils évolueraient et reviendraient dans un espace mémoriel, où la mémoire commune du lieu les aimanterait, contrairement à l’enfermement que l’on suppose à l’autisme. Il s’agirait pour l’enfant, explique Catherine Perret, de « tracer-reconstituer l’écheveau des existences matérielles enfouies (sources, chemins disparus, arbres foudroyés, maisons brûlées) », chacune de ces traces invisibles ayant fait « trou » en lui (p. 343).
Et même, cette mémoire ne serait pas individuelle ou sociale, ni même historique mais ce serait « une mémoire d’espèce », que nous aurions tous en commun en tant qu’hommes, selon l’expression de Deligny (p. 297) – ce en quoi en sa thèse est anthropologique. Tous les hommes partageraient ce qu’il appelle « ce fonds commun autiste que nous avons tous en permanence ».
Plus encore, mieux encore, cet enfant, en tournant autour de ce que nous avons de fondamentalement commun avec lui, « il piste, écrit Catherine Perret, il cherche. Il nous cherche. Sans nous trouver. », puis il cesse de tourner, « c’est donc qu’il a retrouvé nos « traces », que nous sommes devenus perceptibles à ses yeux… », que nos traces ont fait traces en lui. Avec ces enfants, il s’agirait donc et il serait possible « par instants » de « nous rendre existant à leurs yeux », parce que la communauté que nous formons avec eux précèderait la conscience que nous en aurions. Il s’agirait d’établir un « pont » entre eux et nous, « un gué », attesté par les images de la caméra : l’impalpable et invisible « matière d’entre » serait là, comme visible, comme un accord entre personnages d’un même tableau, sous un œil commun.
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